Les années 1920 correspondent à une époque de graves bouleversements dans l’histoire du peuple arménien, notamment en ce qui concerne l’évolution de la vie politique et culturelle.

Le génocide des Arméniens, perpétré par les autorités ottomanes et turques durant les années 1915-1923, la chute de la première République d’Arménie ainsi que les persécutions des autorités soviétiques qui lui ont succédé ont causé de sérieuses perturbations. Les survivants arméniens se sont éparpillés aux quatre coins du monde. Les pays du Moyen-Orient sont les premiers refuges de ces déracinés.

C’est à ce moment crucial, le 28 mai 1928, qu’un groupe de neuf intellectuels fonde au Caire “l’association d’édition et de culture Hamaskaïne”. Parmi eux, l’écrivain et pédagogue Lévon Chanth, l’historien et critique littéraire Nigol Aghpalian, l’ancien premier ministre de la première République d’Arménie Hamo Ohantchanian, et le metteur en scène et critique d’art Kaspard Ipékian.

Le but de l’association est de doter la nouvelle génération d’Arméniens d’une éducation arménienne, pour préserver la conscience nationale et les traditions culturelles chez ce peuple apatride, et cela parallèlement à une instruction d’ordre plus général.

Des branches de Hamaskaïne sont créées dans les colonies arméniennes du Moyen-Orient, ainsi qu’en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Amérique latine et en Australie. L’indépendance retrouvée de l’Arménie en 1991 va doter l’association d’un bureau dans la capitale de la République.

Hamaskaïne a fondé nombre d’établissements éducatifs – secondaires et universitaires – dont ont été diplômés écrivains et philologues, ainsi que des acteurs politiques et des dirigeants nationaux.

L’association a également développé une vaste activité dans les domaines de l’édition et de la publication. Pendant les 90 années passées, dont les 30 dernières aux États-Unis, Hamaskaïne a joué un rôle important dans l’avancée culturelle des communautés arméniennes de la Diaspora.

Hamaskaïne est une organisation à but non-lucratif qui opère à présent sous la dénomination officielle “Association arménienne pour l’éducation et la culture – Hamaskaïne”.

Déracinement et enracinement

Les années 1920 correspondent à une époque de graves bouleversements dans l’histoire du peuple arménien, notamment en ce qui concerne l’évolution de la vie politique et culturelle.

Le génocide des Arméniens, perpétré par les autorités ottomanes et turques durant les années 1915-1923, la chute de la première République d’Arménie ainsi que les persécutions des autorités soviétiques qui lui ont succédé ont causé de sérieuses perturbations. Les survivants arméniens se sont éparpillés aux quatre coins du monde. Les pays du Moyen-Orient sont les premiers refuges de ces déracinés.

Dans ces conditions totalement nouvelles, la vie quotidienne de l’Arménien, ses valeurs morales et sa mentalité sont ébranlées. L’Arménien a changé d’environnement ; le villageois est devenu commerçant, artisan, homme d’affaire. Son sens moral a également changé : dans la ville, il a affaire à mille et un concurrents, contre lesquels il doit lutter et qu’il doit vaincre. Une nouvelle norme morale s’impose : réussir, se créer une place parmi les nantis.

L’Arménien s’embourgeoise : réussir devient son but, et cela quels que soient les moyens employés. Naturellement, dans un tel milieu, le caractère naïf et simple de l’Arménien ne peut demeurer inchangé.

C’est ce peuple arménien exilé et dispersé qu’il faut organiser et unir en reliant entre elles ses différentes fractions, en  utilisant tous les moyens en faveur de l’unité et de la perpétuité du peuple arménien. Un autre impérative s’impose : créer une classe intellectuelle arménienne.

Ce sont les intellectuels arméniens qui cultivent les concepts sociaux, qui rassemblent la nation autour d’un idéal unique, et qui dirigent l’univers spirituel. Les Turcs ont asséné un coup dur à l’intelligentsia arménienne ; ils ont décapité la classe qui cultivait les valeurs spirituelles et qui rassemblait autour d’elle le peuple arménien.

Il faut en outre former des acteurs socioculturels, fournir des livres au peuple arménien exilé, garder vibrante la langue arménienne en dehors des écoles, dans les familles. Il faut publier la littérature classique, créer des liens entre l’Arménien et son passé, le rendre maître et titulaire de son histoire, de son héritage vieux de plusieurs siècles et de sa riche culture.

École, langue, lettres et une jeunesse idéaliste ; voilà les éléments qui sont nécessaires dans cette lutte de sauvegarde de l’identité, pour que l’Arménien demeure Arménien.

Une vision culturelle et éducative

Ce problème de la préservation de la culture et du peuple arménien, ainsi que de la pérennisation de cette culture se pose plus particulièrement pour les dirigeants et intellectuels arméniens résidant dans les pays arabes, puisque les communautés arméniennes sont majoritairement concentrées dans les villes d’Égypte, du Liban et de Syrie, où ils vivent groupées. Et ces populations se sont déjà organisées en communautés religieuses. Plusieurs écoles élémentaires reliées aux églises existent déjà, mais il n’y a pas d’école secondaire, pas de lycée où les diplômés des écoles élémentaires peuvent poursuivre leur éducation. Un lycée est indispensable, un établissement qui jouerait dans la vie du peuple arménien éparpillé le même rôle que celui joué par le séminaire Guévorguian d’Etchmiadzine ou de l’école Guétronagan de Constantinople.

A la tête de ce projet se trouve un groupe d’intellectuels et d’acteurs sociaux arméniens résidant au Caire, parmi lesquels Lévon Chanth, Nigol Aghpalian, Vahan Navasardian, le docteur Hamo Ohandjanian, Kaspar Ipékian, Stepan Yessayan, Minas Khachadourian… Chanth et Aghpalian dirigent l´école Boghossian d’Alexandrie. Tous deux sont de fervents partisans du projet de fondation d’une école secondaire et œuvrent à mener l’école qui leur est confiée dans cette direction. Chanth propose de former une association d’éducation et de culture appelée “Louys” qui va prendre en charge une seule et unique école, en Égypte ou au Liban.

Création de Hamaskaïne

Lévon Chanth, accompagné de Vahan Navasardian, expose son idée à Aghpalian. “Belle idée”, dit ce dernier, “mais l’argent ? L’argent n’a pas d’idéal, et l’idéal n’a pas d’argent. Ceux d’entre nous qui ont de l’argent n’ont pas d’idéal et ceux qui ont l’idéal n’ont pas d’argent. D’où allez-vous trouver ces mille livres, qui va vous donner mille livres…?”

Navasardian, Chanth et Aghpalian aboutissent à un accord au Caire et essaient d’obtenir l’adhésion au projet de S. Yessayan et du docteur Ohandjanian. Tous deux sont de brillantes figures de la scène sociale et jouissent d’une influence importante.

Yessayan et Ohandjanian se rallient à la suggestion de Chanth sans hésitation. Ils sont rejoints par Ipékian. Après avoir obtenu leur accord, L. Chanth et N. Aghpalian vont au Caire. Nombre de réunions, consultations et rencontres sont organisées. Suit la session fondatrice de l’association à laquelle participent, outre les susmentionnés, Minas Khatchadourian, Hagop Balekdjian, Setrag Balekdjian, Kourkène Mkhitarian et Garabed Malkhassian.

Durant cette réunion, deux points de vue s’affrontent. L. Chanth et N. Aghpalian sont partisans d’un projet d’activité restreinte : ils veulent se contenter d’une seule école secondaire, ils n’ont pas beaucoup d’espoir quant au maintien d’une activité plus étendue, les moyens financiers étant très maigres. Navasardian, Ohandjanian et Malkhassian défendent un projet plus vaste. L’association doit avoir comme champ d’action toute la Diaspora arménienne. L’œuvre initiale peut être modeste, soit une seule école, mais cette activité doit s’élargir par la suite et l’association doit devenir pan-nationale. L’assemblée finit par adopter la seconde approche, et la nouvelle association est baptisée “Association Hamaskaïne pour l’édition et l’éducation”.

Le but de l’association nouvellement créée, dûment formulé, est entièrement finalisé le 28 mai 1928. Ce jour-là, la charte de l’association est affinée et ratifiée entièrement. Cette session est considérée comme la session fondatrice de la nouvelle association.

Les neuf fondateurs de Hamaskaïne sont donc le docteur Hamo Ohandjanian, Stépan Yessayan, Kaspar Ipékian, Lévon Chanth, Nigol Aghpalian, Minas Khatchadourian, Sétrag Balekdjian, Hagop Balekdjian et Sarkis Malkhassian.

Le 1er article de la charte de l’Association définit clairement le but de Hamaskaïne : “Améliorer le niveau d’éducation du peuple arménien dans la langue et l’esprit arméniens.” Pour accomplir cet objectif, Hamaskaïne va œuvrer selon trois axes :

  1. Fournir une éducation arménienne à la nouvelle génération,
  2. Encourager l’autoformation des adultes
  3. Promouvoir l’arménologie.

Le premier axe, la formation de la nouvelle génération, est le plus important, le plus vaste comme champ et le plus exigeant en efforts et ressources financières. Il faut fonder des écoles secondaires suivant le modèle “des lycées et collèges européens” ; créer des manuels scolaires pour toutes les matières enseignées, des livres de lecture pour les enfants et adolescents ; aider les auteurs d’œuvres d’arménologie ; traduire en arménien les extraits des œuvres des auteurs non-arméniens et médiévaux qui traitent de l’Arménie et des Arméniens ; publier les anciens manuscrits rédigés en arménien.

Deux choses sont nécessaires pour la réussite d’une pareille entreprise gigantesque : tout d’abord, un grand nombre d’individus travaillant dans les domaines de l’éducation scolaire, de la littérature et des sciences, ainsi que de vastes  moyens financiers. Avant de réunir autour d’elle les experts littéraires et scientifiques d’outremer, Hamaskaine essaie de créer partout des réseaux de contacts et d’assurer sa viabilité financière.

Nigol Aghpalian visite la Syrie et le Liban durant l’été 1928 dans le but de propager les idées de Hamaskaïne. Il y tient des interventions publiques et des entretiens privés. Lévon Chanth se rend en France dans le même but. Il a pour mission de s’entretenir avec les intellectuels arméniens de Paris et de discuter avec eux de la création de branches de Hamaskaïne en Europe Occidentale, notamment en France.

La période de mai 1928 – fin 1929 est pour l’Association celle de la préparation du terrain, de la propagation d’idées et de leur popularisation. Le Comité Central de Hamaskaïne s’assure également du soutien de la Fédération Révolutionnaire Arménienne Dachnagtsoutioun (FRA-D).

Le Collège “Djémaran” au Liban

Le 3 mars 1930 est le jour où le projet du Hamaskaine de fonder une école secondaire devient réalité. Le Collège Arménien, le “Djémaran”, est fondé à Beyrouth. L’établissement change plus tard de nom pour devenir le “Collège Arménien Nichan Palandjian de Hamaskaïne” en mémoire de son mécène. Le complexe scolaire actuel, situé à Antélias, banlieue de Beyrouth, est nommé “Collège Arménien Melankton et Haïg Arslanian de Hamaskaïne” en hommage à ses nouveaux mécènes.

Les activités de Hamaskaïne se poursuivent alors à Beyrouth, centrées essentiellement sur le Djémaran, étant donné que Chanth, Aghpalian et Ipékian résident désormais dans cette ville, et que la nombreuse communauté arménienne qui s’y est installée offre de vastes opportunités pour le développement des activités culturelles de l’Association. Ainsi, en 1947, le siège de Hamaskaïne est transféré du Caire à Beyrouth ; l’Association est reconnue officiellement par le gouvernement libanais sous le nom “Association arménienne culturelle et éducative Hamaskaïne”.

Du théâtre…

La présence de Kaspar Ipékian parmi les fondateurs aboutit inévitablement à la création d’un mouvement centré sur le théâtre, de la même manière que les premiers accomplissements de Hamaskaïne dans les domaines de l’éducation et de la publication sont conditionnés par les efforts de Chanth et d’Aghpalian. En 1931, Ipékian met en scène “Ochine Bayl” (Prince Ochine) de Chanth, et le spectacle rencontre un grand succès. C’est le cas également pour “Ara et Chamiram”, pièce montée en 1934 et écrite par Ipékian lui-même.

En 1941, Ipékian, alors président du comité Hamaskaïne de Beyrouth, prend l’initiative de fonder “L’Union des amateurs de théâtre de Hamaskaïne”, qui a pour but de promouvoir l’amour des arts dramatiques et de le propager dans les colonies arméniennes de la Diaspora. L’Union instaure la foi dans le rôle éducatif du théâtre ainsi que dans l’apport de ce dernier dans l’initiative de préservation de l’identité nationale. La première pièce jouée par l’Union est “La Princesse de la forteresse prise” de Chanth (en 1942), suivi de “Mon bébé” (avec l’aide de Papkén Papazian, en 1943), puis “Les Dieux anciens” de Chanth (1944), “L’Empereur” de Chanth (1945)….

Ipékian s’éteint en 1952. Pour pérenniser la mémoire de son mentor, l’Union prend son nom, devenant “La Troupe de théâtre Kaspar Ipékian de Hamaskaïne” et le garde à ce jour.

Ipékian a un digne successeur, Georges Sarkissian, qui continue d’œuvrer avec une grande ferveur, aussi bien en tant que metteur en scène qu’en tant qu’acteur et enseignant de jeu théâtral.

30 ans durant, Georges Sarkissian, avec un dévouement total, suscite partout un grand enthousiasme. C’est durant cette période, et grâce à ses efforts, que la communauté arménienne du Liban a sa propre salle de théâtre, le théâtre “Hagop Der Melkonian” du nom du mécène qui subventionne la construction du théâtre et achète l’équipement technique nécessaire. Après la mort de Georges Sarkissian, la direction de la troupe est confiée à Varoujean Hadichian, puis à d’autres personnes.

Une imprimerie…

En 1931, également à Beyrouth, l’imprimerie de Hamaskaïne voit le jour ; elle portera plus tard le nom de son “parrain” et s’appellera Imprimerie Vahé Séthian de Hamaskaïne. Grâce à l’imprimerie, ce sont les travaux d’édition, de publication et de diffusion des livres qui prennent un nouvel élan. Hamaskaïne se dote également de sa propre librairie au Liban.

A partir de janvier 1962, à l’initiative du Bureau de la FRA-D, la revue littéraire et culturelle “Pakine” (Autel) est publiée, revue qui deviendra l’organe officielle de Hamaskaïne à la fin des années 1990.

Création d’un institut supérieur d’arménologie

Dans les années 1970, c’est la demande d’enseignants de langue, de littérature et d’histoire arméniennes qui devient pressante. Le comité central de Hamaskaïne prend l’initiative de créer un institut supérieur d’arménologie de niveau universitaire pour préparer les pédagogues et intellectuels arméniens de la Diaspora. Une commission spéciale est formée, composée de Monseigneur Karékine Sarkissian (le futur Catholicos de la Grande Maison de Cilicie, puis Catholicos de tous les Arméniens), messieurs Vahé Séthian, Hratch Dasnabédian, Chavarche Torikian, Vahé Ochagan et Yervant Pamboukian.

Le programme universitaire préparé par cette commission est la base sur laquelle démarrent les cours de l’Institut supérieur d’arménologie en 1974 avec un groupe de 15 étudiants et étudiantes.

Cette initiative porteuse de beaucoup d’espoir se voit suspendue à cause de la situation d’insécurité causée par la guerre civile du Liban.

Les cours reprennent en 1979 avec de nouveaux étudiants. L’institut livre ainsi sa première génération de diplômés, 21 étudiants et étudiants ayant complété les quatre ans du cursus universitaire.

À la fin de l’année scolaire 2002-2003, la 21ème génération de diplômés quitte l’Institut, ce qui porte le nombre total de diplômés à 146.

Cet institut fondé en 1974 fournit un effort ininterrompu, au cours des années, pour accomplir la mission qui lui a été confiée et former de jeunes cadres qui œuvrent aujourd’hui comme enseignants, rédacteurs, directeurs ou gérants de diverses structures arméniennes, au Liban ou ailleurs. L’institut met fin à ses travaux en 2005 en raison de difficultés financières et d’un manque de candidats.

Une expansion à l’international

L’établissement scolaire Hamaskaïne de Marseille voit le jour en 1980 à l’initiative du Comité central, alors que l’école Archak et Sophie Golsden de Sydney ouvre ses portes en 1986, à l’initiative du comité régional d’Australie.

Le Forum culturel annuel estival des étudiants démarre en 1995 au Liban, organisé par le Comité central. Depuis 2002, il se tient en Arménie.

D’autres activités comprenant diverses branches de la culture se développent à l’échelle locale. Ainsi, dans les années 1960, suite aux déplacements de populations de la Diaspora arménienne, des branches de Hamaskaïne sont formées dans divers pays d’Europe, des Amériques et en Australie. Une activité culturelle et éducative s’était déjà organisée en Iran, grâce aux efforts de l’organisation sœur de Hamaskaïne “Ararat” et d’autres. Au fil du temps, diverses branches fonctionnant dans une même contrée créent ensemble des structures régionales.

En août 1990, la première assemblée mondiale de l’Association se tient à Athènes et adopte la formulation actuelle du nom de l’association : “Association arménienne pour l’éducation et la culture – Hamaskaïne” et le premier Comité central est élu (et non désigné).

En septembre 1994, à Dzaghgatsor (Arménie), le second Congrès mondial a lieu. Les troisième (septembre 1998), quatrième (mars 2002), cinquième (avril 2006) et sixième (2010) Congrès ont eu lieu à Adma et Ayn Saadé, au Liban. Les septième (2014) et huitième Congrès (2018) ont eu lieu en Arménie.

Le Hamaskaïne a trois bureaux, l’un à Beyrouth, siège du Comité central, le second à Erévan et le troisième à Artsakh (Nagorny-Karabagh).